Une Robe pour la Princesse
Une Parabole pour les Informaticiens
Publié le 16/02/1989 - Mis à jour le 16/02/1989 par Jean-Paul Figer
Il était une fois un roi qui avait une très belle fille. Par dessus tout, le roi souhaitait la rendre très heureuse. Aussi il décida que la princesse devait avoir une nouvelle robe pour mettre en valeur sa beauté. Il convoqua le tailleur le plus expérimenté et le plus connu de tout son royaume pour qu'il confectionne une robe pour la princesse.
"Ma fille doit avoir la plus belle robe du pays" déclara le roi. "Avant de pouvoir réaliser une telle robe" dit le tailleur, "je dois connaître ce que vous souhaitez". Et le tailleur de présenter longuement les matériaux qui pourrait être employés, les coupes et les modèles qui pourraient être choisis, les méthodes pour coudre et assembler, la décoration et beaucoup d'autres choses. Il parla de jupes à godets et de plis couchés, d'ourlets, d'ajours et de points, de pinces et de bouillonnés, de broderies et de dentelles. Le pauvre roi ne connaissait rien à tout cela. "Je veux juste une belle robe pour ma fille" dit-il. "Je ferai de mon mieux" dit le tailleur.
La semaine suivante, le tailleur retourna au palais. Il apporta un gros classeur de documents et le présenta au roi.
"Votre Majesté, voici notre proposition pour la robe. J'espère que c'est ce que vous souhaitez. La robe sera terminée dans un an. Et pour mon travail et celui de mes collaborateurs, je vous demande humblement, Majesté, 50 000 ducats".
"Ces tailleurs demandent des sommes astronomiques" pensa le roi, "il n'y a même pas un dessin de la robe dans tous ces documents mais je n'ai pas d'autre solution que de payer en espérant le meilleur". Le roi hocha tristement la tête et dit : "j'accepte votre proposition" et il apposa le sceau royal sur les documents.
Le tailleur se désigna lui-même Chef-tailleur et recruta une vingtaine d'apprenti-tailleurs pour l'aider. Il leur expliqua comment, ensemble, ils allaient réaliser la robe. "Décomposons le travail en morceaux : les manches, le corsage, la ceinture, la jupe et les parures. Chacun de vous préparera une partie de la robe. Mon travail est de spécifier ces parties et d'indiquer la manière dont elles seront assemblées. Mais ne vous précipitez pas sur votre métier. Nous devons d'abord planifier comment chaque partie doit être préparée et décomposer le travail jusqu'à ce que le moindre détail soit connu. Nous devons ensuite vérifier sans l'ombre d'un doute que la robe que nous réaliserons satisfera les spécifications. A la fin nous devons prouver que toutes les parties s'assembleront correctement. Avec une telle vérification, nous saurons avant la première couture que la robe honorera la princesse du royaume et sera telle que le roi l'a commandée."
Les mois passèrent et le chef-tailleur et ses collaborateurs remplirent des pages de papier avec les dessins de la robe et de toutes ses parties. Les étoffes précieuses achetées pour la robe restèrent au magasin et pas un point n'avait été cousu.
Le roi commença à s'inquiéter : la robe pourrait ne pas être terminée dans l'année. Il convoqua le chef-tailleur à la cour et lui demanda pourquoi la robe n'avait pas été commencée. "L'exécution doit succéder au plan comme la nuit succède au jour" dit le chef-tailleur. "Il ne faut pas utiliser l'aiguille et le fil tant que la robe n'est pas entièrement conçue". Et il en fut ainsi.
Enfin la conception fut terminée et la grande oeuvre commença à prendre forme. Les étoffes furent tissées et l'équipe de tailleurs fut très occupée à couper, coudre et mettre en forme. Quand les différentes parties de la robe furent terminées, les tailleurs les apportèrent au chef-tailleur pour l'assemblage. Ce fut là, la partie la plus difficile, car à chaque assemblage de morceaux, il y avait toujours une pièce de tissu qui n'était pas à sa place. Plusieurs fois les tailleurs reprirent leur travail pour le recoudre et des disputes se déclenchèrent pour savoir qui avait tort.
Un jour le chef-tailleur vint voir le roi et lui dit : "Hélas, votre Majesté, la somme allouée n'est pas suffisante pour terminer la robe. La princesse a grandi depuis que les mesures ont été prises et il faut modifier les plans. Je dois donc vous demander 10 000 ducats supplémentaires pour pouvoir terminer en temps voulu. Le roi hocha tristement la tête : "Allez et faites" dit-il.
A la fin -un an et demi plus tard- la robe fut terminée et apportée à la princesse pour un essayage. Hélas, la pauvre fille ne put l'enfiler car le chef-tailleur dans sa recherche pour la qualité des formes, avait oublié les boutons. Rapidement les tailleurs modifièrent la robe et la princesse la montra au roi. "La robe est-elle acceptable ?" demanda le chef-tailleur. "Oui" répondit le roi bien qu'au fond de son coeur la robe ne ressemblât pas du tout à ce qu'il attendait.
Plusieurs jours plus tard, la princesse se promenait dans le jardin du château ; elle portait sa nouvelle robe. Comme elle se penchait pour attraper une grappe de raisins, le haut de la robe glissa, exposant sa poitrine à la vue de tous.
Le roi, très choqué, convoqua le chef-tailleur. "Quelle sorte de robe avez-vous fait pour ma fille ?" s'exclama-t-il. "Non seulement elle a l'air bizarre mais j'ai payé 60 000 ducats pour cela". "Je vous en prie, Majesté, la robe a été faite suivant les spécifications que vous aviez acceptées. Nulle part, il est indiqué que la robe doit rester en place. En fait, ce n'est pas un défaut mais une caractéristique de la robe. Mais si votre Majesté désire modifier la robe, je dois humblement vous demander 15000 ducats pour l'immense travail nécessaire pour satisfaire vos souhaits". Le roi hocha tristement la tête. "Allez et faites" dit-il.
Quelques années plus tard, le chef-tailleur fut changé en crapaud par une fée dont il avait repoussé les avances. Après cette transformation, des taches étranges et des déchirures apparurent sur la robe de la princesse. La petite échoppe de tailleurs qui avait été utilisée par le chef-tailleur pour entretenir la robe, examina cette dernière en détail pour essayer de la réparer. Mais personne ne trouva les documents qui décrivaient la conception et le travail fut abandonné.
La princesse mit la robe au fond de son armoire où elle est restée jusqu'à ce jour.
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